Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Coeur d'une fille

Chapitre 1:  Le stage 

Elle sursauta. Le mini car s’immobilisa brusquement. L’apprenti hurlait à tue-tête.
«  Dernier arrêt, descendez ! »
Elle s’était assoupie juste quelques minutes, vu la nuit agitée qu’elle avait eue. C’était son premier jour de stage. Son premier stage pour la validation de son diplôme du BTS. Un stage dans un organisme public. Ce n’était pas rémunéré. Elle le savait. Pour trois mois. Ce n’était pas la mer à boire. Le réveil fut matinal. Elle entendait le muezzin qui appelait la prière du matin. Ses parents priaient. Elle n’avait pas encore pris l’engagement de le faire. Au fonds d’elle pourtant, elle ressentait ce besoin incessant de se prosterner devant Celui qui lui avait donné la vie. C’était une obligation humaine. Elle l’accomplirait tôt ou tard elle le savait bien. Et le plus tôt serait le mieux. 
Adjamé était toujours animé. Le début de la semaine était synonyme d’embouteillages. Elle avait vite fait de quitter l’autoroute du Nord. C’est par elle que tout Yopougon s’évacuait vers le centre-ville. Le rang pour Bingerville était long comme la queue d’un serpent. Elle tremblotait au-dedans de son être. C’était son premier jour de travail. Stage école. Longuement cherché. Dans les rue du Plateau, elle marchait en compagnie d’une autre amie. Elles déposaient leur Curriculum dans toutes les entreprises dont elles entendaient parler. Le soleil illuminait la ville. À l’heure de pointes, la soif et la faim les accompagnaient. Elles, et surtout Fatma marchait depuis la grande école au marché d’Adjamé. Pas par plaisir mais  parce qu’elle désirait économiser les maigres 300 FCFA qui lui resteraient sur le transport. Ou souvent parce qu’elle avait décomplété son argent de transport du Plateau à Yopougon. C’était 600 F la place. Rarement 500 FCFA. Cela n’arrivait que lorsqu’elle empruntait un mini car en lieu et place des taxis intercommunaux. Après plusieurs samedis de marche, elle achetait un petit cadeau pour son jeune frère. Qu’elle était fière d’en avoir un. C’était pour ces petites cajoleries, qu’elle marchait autant.   Quand la faim se présentait, c’était un petit garba chaud à la Sorbonne. Attiéké 50, poisson thon 250. Souvent de la mayonnaise 50. A chacun de bien insister sur le fait d’avoir assez de piment sur son repas. C’était l’épice incontournable d’un garba réussi. Le repas de tout étudiant. Ce n’était ni repas de pauvre ni de riche. Tout le monde avait une fois été estudiantin. C’est juste l’ornement qui différait.
Le gbaka roulait vite. C’était l’heure de pointe et il fallait faire sa recette le plus tôt possible. Dans le domaine, la concurrence était rude. Fourrée, dans sa  jupe taille haute qu’elle avait achetée dans de la friperie, et d’une chemise blanche aux motifs fleuris, Fatma descendit du gbaka juste en face du bureau de la poste à Bingerville. Elle crut qu’elle ne retrouverait jamais le lieu. En face se trouvait le bâtiment dans lequel elle travaillerait pour les prochains mois. Le bruit de ses chaussures embrouillait l’oreille. Elle salua le vigile. Deux autres filles y étaient déjà. Par la vitre du comptoir, elle reconnut un visage. Une fille qui venait de la même grande école qu’elle. Une des précédentes stagiaires de la Trésorerie. CO…CA chantait ses chaussures. Ses plus beaux talons. Le bas s’était longtemps détaché. Elle voulut juste bien se présenter.  Sa chemise l’enveloppait comme un drap. Les autres stagiaires étaient belles. Bien habillés, des sacs à mains qui suscitaient l’envie. Fatma, se débrouillait avec le sien. Elle l’avait eu à 500 FCFA dans un bal de sac. L’important pour elle c’était d’avoir quelque chose qui contenait ses effets. L’esthétisme n’était pas  sa priorité. 
«  Toi-même tu vois non, lui avait-on fait remarquer, tes chaussures font trop de bruit… »
Les gens s’étaient retournés pour la regarder. La honte ne tuait pas les mouches. Elle n’avait pas de ballerines comme les autres, seulement une vieille et vilaine paire chaussure plate à corde qu’elle n’avait aucunement envie de porter. Ah qu’allait-elle faire ? Dire à ses parents de lui trouver une meilleure ? Les temps étaient un peu serrés. Elle-même l’avait remarqué. Et une dépense pareille ne présentait pas bien. 
 Ce jour-là, le ventre criait la famine. Fatma tremblait dans sa peau. Ah quelle faim ! Elle avait remarqué un lieu de restauration dans la cour du foyer des jeunes. Une des stagiaires y mangeait déjà, un beau plat de tchep avec une cuisse de poulet. Fatma avait pu économiser  200 FCFA qu’elle ajouterait à ses 500 FCFA. Elle désirait un bon plat pour ce midi. C’est pour cela qu’elle ne consomma rien le matin. 
« C’est sûr que je vais avoir  un plat de tchep avec du  poisson, pensa-t-elle intérieurement ». 
La serveuse s’approcha d’elle.
«  Le plat de tchep avec poisson est à 1000 FCFA, avec le poulet c’est 2000 FCFA… »
La parole était douce à la langue de la serveuse qui ne remarqua même pas qu’elle venait de briser tout l’espoir de sa jeune cliente. Et quel méprisable désarroi !
« Lequel désirez-vous ? »
Fatma sourit.
« Excusez-moi Madame, je vais dans les toilettes et je reviens »
 Là à Bingerville, un seul bon plat ne coutait pas moins de 1000 FCFA, sinon se contenter des moyens du bord. Elle, pour la journée, avait en tout 2000 FCFA dont 1500 FCFA pour son transport et le reste pour la nourriture. Elle suivait des cours du soir  dans une grande école du Plateau. C’était le même trajet chaque jour. Souvent, un employé de l’entreprise la déposait à Adjamé. A midi, c’était choukouya de bœuf 300 FCFA, pour le mouton étant au-delà de ses moyens avec une petite boule d’attéké 100 FCFA. C’était sec sans condiments. Elle devait s’en réjouir, d’autre n’avait pas cette chance. Le jour où elle avait grignoté quelque chose le matin, elle devait se satisfaire de son bâillement du midi. Et c’était assez fréquent. Les autres stagiaires avaient toujours les mains bien garnies. Des copains qui leur donnaient de l’argent en plus des parents. Elle, par contre était si petite et si fine que personne ne s’intéressait à elle. Ses vêtements étaient démodés. Depuis un moment, elle flottait dans ses pantalons, qui jadis étouffaient ses jambes arrondies. Là, c’était un lointain souvenir. Pourtant, quelle tête elle avait ! Intelligente, douce travailleuse, mais surtout négligée. Pas par envie mais les moyens du bord ne lui permettait pas de se comparer aux autres. Ses cheveux, terni par l’utilisation archaïque des produits défrisants, se cassaient et avaient pratiquement disparue de sa nuque. Son complet pagne n’en échappait pas. La seule fois qu’elle l’avait porté la chemise s’était défaite sur le dos laissant son soutien-gorge aux regards de tous. Une bonne dame l’avait interpellée à ce sujet. Là dans les toilettes, elle se rendit compte que le pantalon s’était lui aussi détaché…
Son corps ressentait de la fatigue. Fatma sut que la maladie se présentait elle. L’autre jour, elle ne put déguster le plat de poulet cuisiné à la maison. Elle avait même donné sa part à l’un de  ses frères. Sa bouche était acre. L’eau non plus ne passait. Elle n’arrivait plus à aller à la selle. Une constipation des plus chroniques. Elle avait peur. Elle se rendit à la pharmacie. L’on lui donna des vitamines et d’autres médecines. Elle les prit et ne put avaler autres choses. Les brulures à l’estomac devinrent intenses. Sur la chaise du bureau, elle se tortillait. Qu’elle aimerait bien être chez elle à la maison. 
La clinique se trouvait à l’arrière de l’immeuble. Elle était venue avec son cousin. Le médecin l’examina attentivement. Peut-être pensait-il qu’elle était enceinte. Quel sacrilège pour Fatma. Quel déshonneur cela serait pour elle et ses parents ! On lui prescrit des vitamines liquides. Le résultat se voyait déjà.
« Ravi de te voir manger Fatma, lui avait dit l’employé qui la déposait  des fois à Adjamé ». 
Les trois mois s’étaient écoulés rapidement. L’heure était à la rédaction des rapports de stage. Fatma avait vu le sien rejeté. Il n’était pas intéressant.  Il n’était riche pas. Les autres filles quant à elles avaient eu de bonnes remarques.  Puis vint le temps de l’entretien avec le trésorier principal. Et quel stress ? Chacune des stagiaires faisaient le bilan de ses recherches. Qu’avaient-elles retenue du stage ? Qu’avaient-elles apporté à l’entreprise ?...
La note qui en résultait était importante pour l’obtention du diplôme d’admission au BTS. Fatma, doutait de son entretien. Elle craignit bien le pire.
Elle ne sut combien on lui donna, cela lui importait peu. Le plus dur restait à venir : l’oral du BTS. L’on avait tant médit sur le comportement des examinateurs que la seule pensée à leur égard faisait battre le cœur à 200° Celsius.  Elle s’imaginait tous les pires scenarios possibles. Elle avait l’art de dramatiser les faits. Il lui fallait tant valider  ce diplôme. Et dire, qu’il y a deux ans de cela, elle n’avait aucune idée de l’existence d’un tel parcours. Elle était une fille à la tête fine. Insouciante et innocente. Personne n’aurait su qu’une telle créature existait au milieu de ce vingt-unième siècle.
En passant par Adjamé, accompagnée de son amie de tous les jours, elles remarquèrent un tas de friperie de pantalon. Elles y fouillèrent avec acharnement. Fatma fit sortir un gros pantalon noir. Il faisait à deux fois sa taille. Mais qu’ils étaient beaux ses ornements ! Fatma l’admira longuement.
« Si tu le laisses, lui dis son amie, je le  prends.
Mais il est tellement grand !
Mais tu le prends et puis tu le donnes à un bon toclos pour le réduire. Il y a un au marché qui sait bien faire ces genres de choses. C’est comme ça que les gens font maintenant oh ! »
Elle lui montra son jean qu’elle portait. Fatma le regarda, il était beau.
« C’est dans yougou-yougou que j’ai l’acheté et il l’a serré pour moi. »
C’était parfaitement fait. Le pantalon coutait 300 FCFA. Il venait de l’Asie. Un jaune l’avait porté avant elle.
Avec chemine bleu ciel aux rayures noires et marrons, Fatma allait à la rencontre de sa destinée. C’était le jour-j. les oraux avaient d’ores et déjà commencé depuis deux jours. Son tour passait le mercredi.  L’école était située sur une colline. Jamais au plus grand jamais, elle ne sut qu’une école se trouvait dans ce lieu. Et elle ne l’aurait jamais su si elle n’avait pas à y faire son oral. Les noms étaient affichés sur un large tableau. Elle rencontra des camarades du lycée. Le salut fut bref. 
Les examinateurs arrivèrent par groupe. Bien plus en avance que les étudiants eux même. Fatma avait la bonne habitude d’être toujours ponctuelle. L’examinateur commença l’appel. On comptait beaucoup d’absence. L’examinateur commença son interrogatoire. 
Fatma entra minutieusement. Elle salua poliment les examinateurs. Ils répondirent gaiement. Son jury n’était composé que de deux hommes. C’était bien mieux ainsi.
« Ils ne sont pas si monstrueux que cela, se rassura-t-elle. »

#kindenintuo🙏

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :